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Pigoult qui, croyant faire une plaisanterie, exprimait un des non-sens qui règnent en France.

— C’est le bonheur de tous, obtenu par le triomphe des doctrinaires humanitaires…

— Qu’est-ce que je disais ?… demanda le fin notaire à ses voisins.

— Chut ! silence ! écoutons ! dirent quelques curieux.

— Messieurs, dit le gros Mollot en souriant, le débat s’élève ; donnez votre attention à l’orateur, laissez-le s’expliquer…

— À toutes les époques de transition, messieurs, reprit gravement Simon Giguet, et nous sommes à l’une de ces époques…

— Béééé… béééé… fit un ami d’Achille Pigoult qui possédait les facultés (sublimes en matière d’élection) du ventriloque.

Un fou rire général s’empara de cette assemblée, champenoise avant tout. Simon Giguet se croisa les bras et attendit que cet orage de rires fût passé.

— Si l’on a prétendu me donner une leçon, reprit-il, et me dire que je marche avec le troupeau des glorieux défenseurs des droits de l’humanité, qui lancent cri sur cri, livre sur livre, du prêtre immortel qui plaide pour la Pologne expirée, du courageux pamphlétaire, le surveillant de la liste civile, des philosophes qui réclament la sincérité dans le jeu de nos institutions, je remercie mon interrupteur inconnu ! Pour moi, le progrès c’est la réalisation de tout ce qui nous fut promis à la Révolution de juillet, c’est la réforme électorale, c’est…

— Vous êtes démocrate, alors ! dit Achille Pigoult.

— Non reprit le candidat. Est-ce être démocrate que de vouloir le développement régulier, légal de nos institutions ? Pour moi, le progrès, c’est la fraternité rétablie entre les membres de la grande famille française, et nous ne pouvons pas nous dissimuler que beaucoup de souffrances…

À trois heures, Simon Giguet expliquait encore le progrès, et quelques-uns des assistants faisaient entendre des ronflements réguliers qui dénotaient un profond sommeil.