Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regarde comme fatal à notre arrondissement. Charles Keller appartient à la cour ! me dira-t-on. Eh ! tant mieux ! nous n’aurons pas à payer les frais de son apprentissage politique, il sait les affaires du pays, il connaît les nécessités parlementaires, il est plus près d’être homme d’État que mon ami Simon, qui n’a pas la prétention de s’être fait Pitt ou Talleyrand, dans notre pauvre petite ville d’Arcis…

— Danton en est sorti !… cria le colonel Giguet, furieux de cette improvisation pleine de justesse.

— Bravo !…

Ce mot fut une acclamation ; soixante personnes battirent des mains.

— Mon père a bien de l’esprit, dit tout bas Simon Giguet à Beauvisage.

— Je ne comprends pas qu’à propos d’une élection, dit le vieux colonel, à qui le sang bouillait dans le visage et qui se leva soudain, on tiraille les liens qui nous unissent au comte de Gondreville. Mon fils tient sa fortune de sa mère, il n’a rien demandé au comte de Gondreville. Le comte n’aurait pas existé que Simon serait ce qu’il est : fils d’un colonel d’artillerie qui doit ses grades à ses services, un avocat dont les opinions n’ont pas varié. Je dirais tout haut au comte de Gondreville et en face de lui : « — Nous avons nommé votre gendre pendant vingt ans, aujourd’hui nous voulons faire voir qu’en le nommant nous agissions volontairement, et nous prenons un homme d’Arcis, afin de montrer que le vieil esprit de 1789, à qui vous avez dû votre fortune, vit toujours dans la patrie des Danton, des Malin, des Grévin, des Pigoult, des Marion… » Et voilà !

Et le vieillard s’assit.

Il se fit alors un grand brouhaha. Achille ouvrit la bouche pour répliquer. Beauvisage, qui ne se serait pas cru président s’il n’avait pas agité sa sonnette, augmenta le tapage en réclamant le silence. Il était alors deux heures.

— Je prends la liberté de faire observer à l’honorable colonel Giguet, dont les sentiments sont faciles à compren-