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arrivée jusqu’à trente-deux ans sans se douter de ce que pouvait être l’amour, même dans le mariage, ne peut pas consentir qu’à cette heure tardive elle subisse la loi commune ; conclure contre le souvenir de tous les sermons que vous adressiez à Louise de Chaulieu, pour lui prouver que la passion qui vient nous saisir au cœur est le pire de tous les malheurs, à peu près comme on prouverait à un malade qu’une fluxion de poitrine qu’il a prise est la pire imprudence qu’il pût commettre ; conclure contre votre effrayante ignorance qui se figure qu’un je ne veux pas bien accentué a raison d’un entraînement compliqué par un concours de circonstances où les plus habiles, — ma cousine, la princesse de Cadignan, par exemple, — auraient peine à se démêler.

— Mais la conclusion pratique ? dit madame de l’Estorade, en frappant à coups redoublés son genou de sa jolie main.

— Ma conclusion, la voici, répondit madame Octave : matériellement, et si vous ne voulez pas surtout faire la folie de remonter contre le courant, je ne vois pour vous aucun danger d’être submergée. Vous êtes forte, vous avez des principes, de la piété, vous adorez vos enfants, et vous aimez en eux monsieur de l’Estorade, leur père, déjà depuis quinze ans le compagnon de votre vie ; avec tout ce lest on ne chavire pas, et, croyez-moi, l’on est bien à flot.

— Alors ? dit madame de l’Estorade d’un air interrogatif.

— Alors, on n’a pas besoin de recourir à des moyens violents, et, selon moi, d’un succès très-problématique, pour conserver une impassibilité, dans certaines données impossibles, et que l’on a déjà aux trois quarts perdue. Ce n’est pas monsieur de Sallenauve, vous en êtes persuadée, qui pensera à vous faire faire un pas de plus ; vous convenez vous-même qu’il est à mille lieues de songer à cela. Restez donc où vous êtes ; ne faites pas des barricades quand personne ne vous attaque ; ne vous exaltez pas dans une défense inutile et où vous pouvez vous ménager de cruelles tempêtes de cœur et de conscience en croyant mettre en paix votre conscience et calmer votre cœur ridé seulement par un petit zéphir. Sans doute, d’homme à femme, le sentiment de l’a-