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la distraction de la Chambre, vous qui avez, je veux bien en convenir, beaucoup d’amour-propre, mais qui savez les questions de cœur, à peu près comme une pensionnaire ou comme une nourrice, que deviendrez-vous au dangereux régime que vous voulez vous imposer ?

— Moi, si je ne l’aime pas de près, de loin je l’aimerai encore bien moins.

— De telle sorte que si vous le voyez prendre cavalièrement son parti de son ostracisme, votre amour-propre de femme n’en sera pas le moins du monde étonné ?

— Mais non, ce sera justement le résultat désiré.

— Et si vous apprenez au contraire qu’il se plaint de vous ou que, sans se plaindre, il souffre vivement de votre procédé, votre conscience ne vous dira absolument rien ?

— Elle me dira que j’ai fait pour le bien, que je ne pouvais agir autrement.

— Et s’il a des succès qui retentissent jusqu’à vous, s’il vient à occuper les cent bouches de la renommée, vous ne penserez pas seulement qu’il existe ?

— Je penserai à lui comme je pense à monsieur Thiers ou à monsieur Berryer.

— Et Naïs, qui ne rêve que de lui, et qui vous dira encore mieux que le premier jour où il dîna chez vous : Maman ! comme il parle bien !

— Si vous faites entrer en ligne de compte des bavardages de petite fille !

— Et monsieur de l’Estorade, qui déjà vous agace, quand, commençant dès aujourd’hui de sacrifier à l’esprit de parti, il lâche sur le compte de monsieur de Sallenauve quelque insinuation malveillante, vous lui imposerez silence lorsqu’à tout moment il vous entretiendra de cet homme pour lui nier tout talent, toute élévation ; vous savez le jugement que l’on porte toujours sur les gens qui ne pensent pas comme nous.

— Enfin, demanda madame de l’Estorade, vous voulez dire que jamais je ne serai tant amenée à m’occuper de lui que quand je ne l’aurai plus dans mon horizon ?