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me parler, il m’écrira sans signature, à mon hôtel, et me donnera quelque part un rendez-vous. Si, par impossible, j’avais moi-même à provoquer une rencontre, je lui adresse, à son antre de la rue Sainte-Anne, une carte découpée, et il me fait savoir le lieu où nous pourrons causer sans inconvénients. On peut s’en rapporter à son habileté sur le choix d’un endroit convenable, personne ne connaissant mieux que lui son Paris et les moyens d’y circuler souterrainement.

— Procédés de haute diplomatie ! dit Rastignac avec une pointe d’ironie,

— Je vous dis tout, vous comprenez ? reprit le colonel, pour bien vous montrer que dans ma pensée cet homme est à ménager, et pour que vous ne pensiez pas cependant que je fais danser devant vous des fantômes, en vue de vous décider à faire ce qui n’aurait d’abord pas été dans vos intentions.

— Continuez, dit froidement Rastignac en s’arrêtant pour cueillir une rose épanouie sur un rosier du Bengale ; c’était peut-être une manière de témoigner de son entière liberté d’esprit.

— Le soir même du jour, poursuivit le colonel, où vous lui aviez fait cette grise réception, ma nomination à la Chambre étant déjà connue par le télégraphe et annoncée dans le journal du soir, je reçois un billet de lui, ce qui ne m’était pas arrivé depuis plus de dix-huit mois, billet très-bref et très-concis : Demain matin, six heures, redoute de Clignancourt.

— Une façon de cartel, fit remarquer Rastignac.

— C’en était au moins un souvenir, car vous vous le rappelez, c’est à Montmartre que, dans ce duel malheureux… par mes mains… vers 1820… le jeune Taillefer… (Voir le Père Goriot.) Quelquefois, vers la brune, ce pauvre diable, il m’arrive d’y penser, quoique le coup, vous le savez, ait été loyalement porté.

— Une de ces laides histoires, dit Rastignac, qui font qu’on ne regrette pas le temps de sa jeunesse, époque où elles se passaient.