Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XXII

LA MATINÉE D’UN MINISTRE


Le lendemain Rastignac fut moins matinal qu’à son ordinaire, et au moment où il entra dans son cabinet, le salon d’attente dont cette pièce est précédée réunissait déjà onze solliciteurs, l’attendant avec des lettres d’audience, plus deux pairs de France et sept députés.

À un coup de sonnette éclatant, l’huissier, avec un émoi qui se communiqua au reste de l’assistance, s’empressa de pénétrer dans le sanctuaire ; un instant après il en sortait, porteur de cette phrase stéréotypée :

— Le ministre est obligé de se rendre au conseil. Cependant il aura l’honneur de recevoir messieurs les membres des deux Chambres ; quant aux autres personnes, elles pourront se présenter à un autre moment.

— Mais quel autre moment ? demanda avec humeur un des ajournés ; voilà trois fois en trois jours que je viens ici inutilement.

L’huissier fit un geste qui voulait dire : cela ne me regarde pas, j’exécute mes ordres. Seulement, comme il entendit quelques murmures s’adressant au privilège de messieurs les honorables :

— Messieurs les pairs et les députés, dit-il avec une certaine solennité, viennent entretenir monsieur le ministre d’affaires d’un intérêt général.

Les solliciteurs payés de cette bourde, un autre coup de sonnette retentit. L’huissier prit alors son air de visage le plus gracieux ; par une affinité naturelle, les heureux de cette audience s’étaient groupés dans un coin ; sans s’être jamais vus, car plusieurs étaient le produit du dernier enfantement national, ils avaient pu se reconnaître à un certain air re-