— Non pas moi, dit vivement monsieur de l’Estorade, qui trouvait l’occasion de mettre un chevron de plus à sa réputation d’habile prophète, dès la première conversation politique que j’eus avec ce prétendant, monsieur de Ronquerolles est là pour le dire, je me déclarai étonné de la portée qu’il manifestait.
— Très-certainement, répondit celui qui venait d’être interpellé, ce n’est pas un garçon ordinaire, mais je ne crois pas à son avenir ; c’est un homme de premier mouvement, et, monsieur de Talleyrand l’a très-bien remarqué, le premier c’est toujours le bon.
— Eh bien ! monsieur ? fit avec ingénuité madame de l’Estorade.
— Eh bien ! madame, répondit monsieur de Ronquerolles, qui s’était fait une fatuité du scepticisme, l’héroïsme n’est pas de notre temps ; c’est un bagage horriblement lourd et embarrassant avec lequel on s’embourbe dans tous les chemins.
— J’aurais cru pourtant que les grandes qualités du cœur et de l’esprit entraient pour quelque chose dans la composition d’un homme distingué.
— Qualités de l’esprit ; oui, vous avez raison, et encore à la condition qu’elles soient tournées d’un certain côté ; mais les qualités du cœur, dans la vie politique, à quoi ça peut-il servir ? à vous hisser sur des échasses avec lesquelles on marche moins bien qu’à terre, et dont on tombe à la première poussée, en se cassant le cou.
— À ce compte, dit en riant madame de Rastignac, pendant que madame de l’Estorade se taisait en dédaignant de répondre, le monde politique ne serait donc peuplé que de vauriens ?
— Mais un peu, madame ; demandez plutôt à Lazarille, et en faisant cette allusion à une plaisanterie restée célèbre au théâtre, monsieur de Ronquerolles posa familièrement la main sur l’épaule du ministre.
— Je trouve, mon cher, dit Rastignac, que vos généralités sont un peu trop particularisées.
— Non ; mais, voyons, reprit monsieur de Ronquerolles,