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autres. J’arrive, il n’y a pas deux heures, et je ne verrai Rastignac qu’en sortant d’ici.

— Il va très-bien, le petit ministre ! dit le colonel en rompant l’habile déduction par laquelle, dans chacune de ses paroles, Maxime n’avait cessé de graviter vers l’objet de sa visite ; on est très-content de lui au château. Connaissez-vous cette petite Nucingen qu’il a épousée ?

— Oui ; je vois souvent Rastignac ; c’est une très-ancienne connaissance à moi.

— Elle est gentille, cette petite, poursuivit le colonel, très-gentille, et, la première année du mariage enterrée, je crois qu’en risquant de ce côté-là une charge, on pourrait espérer de n’être pas le trop mal accueilli.

— Allons donc ! dit Maxime, un personnage sérieux comme vous, un législateur ! Moi, rien que pour avoir été, au compte d’autrui, remuer la matière électorale, je reviens un homme tout à fait posé.

— Vous dites donc alors que vous étiez allé à Arcis-sur-Aube pour empêcher l’élection de ce tailleur de pierres ?

— Pas du tout ; j’y étais allé pour me mettre en travers d’une élection centre gauche.

— Pouh ! je ne sais pas si je n’aime pas autant une élection de la gauche pure ; mais prenez donc un cigare ; j’en ai là d’excellents ; ce sont ceux que fument les princes.

Maxime n’aurait eu aucun bénéfice à refuser, car déjà le colonel s’était levé pour sonner son valet de chambre, à qui il dit ce seul mot : du feu !

Les cigares allumés, monsieur de Trailles prévint une autre interruption en déclarant, avant d’être interpellé, que, de sa vie, il n’avait fumé quelque chose d’aussi exquis. Commodément campé dans son fauteuil, et lesté en quelque façon du passe-temps qu’il venait de se ménager, le colonel parut devoir promettre une attention moins fugace. Alors monsieur de Trailles reprit :

— Tout allait d’abord à miracle. Pour écarter le candidat dont s’inquiétait le ministère, un avocat, vous savez, la pire espèce de teigne, j’avais déterré un ancien bonnetier, maire de la ville, bête à faire plaisir, auquel j’avais persuadé de