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— Chez le colonel Franchessini, dit-il à son cocher.

Arrivé à la porte d’un des plus coquets hôtels du quartier Breda, en passant devant le concierge, auquel il fit un bonjour de la tête, monsieur de Trailles en reçoit ce signe affirmatif qui veut dire : Monsieur est chez lui. En même temps, le son d’un timbre l’annonce à un domestique venu pour lui ouvrir la porte du péristyle.

— Le colonel est visible ? dit-il.

— Il vient de passer chez madame. Monsieur veut-il que j’aille l’avertir ?

— C’est inutile, je vais l’attendre dans son cabinet.

Et, comme un familier de la maison, sans que le domestique ait besoin de lui montrer le chemin, lui-même s’introduit dans une vaste pièce à deux fenêtres, de plain-pied avec un jardin.

Ce cabinet est comme le luth de Bologne compris dans le fameux inventaire de l’Avare garni de toutes ses cordes ou peu s’en faut ; en d’autres termes tous les meubles qui lui permettent de prétendre à sa savante désignation, tels que bureau, bibliothèque, cartes, mappemondes, y forment le fonds d’un ameublement très-complet et très-somptueux ; mais sportman effréné et l’un des membres les plus actifs du Jockey-Club, le colonel a laissé déborder peu à peu dans ce prétendu sanctuaire du travail et de la science, son fumoir, sa salle d’armes et sa sellerie ; de telle sorte que des pipes et armes de toute forme et de tout pays, y compris le casse-tête du sauvage, des selles, des fouets de chasse, des mors et étriers de tous modèles, des gants d’armes et des gants de boxe y forment la complication la plus disgracieuse et la plus singulière. Du reste, en s’entourant ainsi de tous les objets de ses occupations et études favorites, le colonel est un homme qui montre le courage de son opinion. Selon lui, en effet, au delà d’une attention continuée pendant un quart d’heure, il n’y a pas au monde une lecture possible, si ce n’est celle du Journal des Haras.

Il faut croire pourtant aussi que la politique a trouvé moyen de se glisser dans cette existence si profondément vouée au culte de l’exercice musculaire et de la science