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fut, madame, le procédé de madame Beauvisage, née Grévin, et si le procédé pouvait passer pour justifié, au moins ne fut-il pas habile, car, le soir même, la ville entière savait la catastrophe, et atteint et convaincu de mœurs déplorables, monsieur Beauvisage voyait une désertion nouvelle s’opérer dans la phalange déjà bien éclaircie de ses partisans.

Toutefois, le côté de Gondreville et Grévin tenait encore, et croiriez-vous, madame, que c’est encore à mademoiselle Antonia que nous devons le renversement de ce dernier rempart.

Voici la marche du phénomène : la mère Marie-des-Anges voulait avoir avec le comte de Gondreville un entretien. Mais elle ne savait comment s’y prendre : le demander ne lui paraissait pas convenable. Ayant, à ce qu’il paraît, de dures choses à dire, elle ne voulait pas avoir fait venir exprès ce vieillard chez elle ; ce procédé lui paraissait blesser trop cruellement la charité. D’ailleurs, dites à bout portant, les choses comminatoires cabrent aussi souvent qu’elles effrayent, tandis que, glissées, comme on dit, en douceur, elles sont bien autrement sûres de leur effet. Cependant, le temps s’écoulait, car l’élection est pour demain dimanche, et ce soir la réunion préparatoire. La pauvre chère dame ne savait vraiment à quel parti s’arrêter, quand elle apprend quelque chose d’assez flatteur pour son amour-propre. Une jolie pécheresse, venue à Arcis dans la pensée de faire financer Keller, le gendre de Gondreville, a entendu parler des vertus, de la bonté inépuisable, de la verte vieillesse de la mère Marie-des-Anges, enfin de tout ce qu’on dit d’elle dans le pays, dont elle est, après Danton, la seconde curiosité, et le plus grand regret de cette fille, c’est de n’oser point demander à être admise en sa présence.

Une heure après, le mot suivant était remis à l’hôtel de la Poste : « Mademoiselle, on dit que vous désirez me voir, et que vous ne savez comment vous y prendre. Rien pourtant n’est plus facile : sonner à la porte de ma grave maison, me demander à la sœur tourière, n’avoir pas trop peur de ma robe noire et de ma vieille figure, et ne pas croire que j’impose mes conseils aux jolies filles qui ne