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car, après le dîner, pendant qu’on prenait le café, comme le digne homme avait la tête un peu échauffée par les fumées du vin du pays qui n’avait pas été ménagé, vous l’imaginez bien, il s’approche de Sallenauve et lui demande tout cru s’il ne se serait pas par hasard trompé de père et s’il pourrait affirmer que Danton ne fût pas pour quelque chose dans sa façon ?

Sallenauve prit gaiement la chose, et fit simplement ce calcul : « Danton est mort le 5 avril 1793. Pour être son fils il faudrait que je fusse né au plus tard en 94, j’aurais donc aujourd’hui quarante-cinq ans. Or, l’acte de l’état civil où j’étais inscrit comme né de père et mère inconnus, et j’espère aussi un peu mon visage, me font naître en 1809, et ne m’accordent que juste trente ans. »

— Vous avez raison, répondit Laurent Goussard, les chiffres aplatissent mon idée ; mais c’est égal, nous vous nommerons tout de même.

Et je crois que cet homme a raison ; ce caprice de ressemblance sera dans l’élection d’un poids immense. Il ne faut pas croire en effet, madame, que, malgré les funestes souvenirs qui entourent sa mémoire, Danton soit pour les gens d’Arcis un objet d’horreur et d’exécration. D’abord le temps l’a épuré ; alors est resté un grand caractère et une forte intelligence dont on est fier d’être le compatriote ; à Arcis, les raretés et les curiosités sont rares, et l’on vous y parle de Danton comme à Marseille on vous parle de la Cannebière : heureuse donc la ressemblance avec ce dieu, dont le culte n’est pas borné à l’enceinte de la ville, mais s’étend aussi à sa banlieue et environs !

Ces électeurs extra muros sont parfois d’une naïveté curieuse, et les contradictions ne les gênent guère. Quelques agents, dépêchés dans le pays circonvoisin, ont déjà exploité cette lointaine parité de traits ; et comme, dans la propagande champêtre, la question est bien moins de frapper juste que de frapper fort, la version de Laurent Goussard, tout apocryphe qu’elle soit, est colportée dans les communes rurales avec un aplomb qui ne trouve pas un contradicteur. Pendant que cette prétendue origine révolutionnaire fait les affaires