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considération. Serait-il bien merveilleux qu’en vue de contredire leur réputation un peu béotienne, les Champenois eussent à cœur de nommer un homme distingué dans les arts, dont ils ont sous les yeux un chef-d’œuvre, qui vient volontairement se faire leur compatriote en achetant chez eux un domaine resté depuis près de dix ans sans acquéreur, et qui, d’une main généreuse et prodigue, est prêt de restituer à cette demeure, l’une des gloires du pays, son aspect de grandeur passée ?

À la suite de cet immense exposé de nos ressources et opérations militaires, serai-je encore bienvenu, madame, à me plaindre de mon manque absolu de distractions ? Je ne sais si c’est pour l’intérêt que je porte à notre ami, mais il me semble qu’un peu de la fièvre électorale qui règne partout ici, en ce moment, a fini par me gagner, et peut-être trouverez-vous que cette lettre, encombrée de détails locaux auxquels, avec la plus grande complaisance du monde, vous ne sauriez trouver un grand intérêt, révèle chez moi un terrible accès de la maladie régnante.

Me saurez-vous gré, d’ailleurs, de vous présenter comme prochainement resplendissant de l’auréole parlementaire un homme dont, me disiez-vous l’autre jour, qu’on ne saurait en faire sûrement son ami, attendu l’élévation Surhumaine et par conséquent un peu impertinente de sa personnalité ? À vous dire vrai, madame, à quelques succès que soit réservé dans la vie politique Charles de Sallenauve, j’ai peur qu’il ne regrette un jour la gloire plus calme qui lui était assurée dans la carrière des arts ; mais ni lui ni moi ne sommes nés sous une étoile facile et commode ; naître seulement nous a été vendu cher, et c’est être deux fois cruel que de ne pas nous aimer. Vous avez pour moi quelque bienveillance, parce qu’il vous paraît que j’exhale encore un reste de parfum de notre Louise aimée ; ayez donc aussi quelque chose de ce sentiment pour celui que, durant tout le cours de cette lettre, je n’ai pas hésité à nommer notre ami. Si, de quelque côté qu’il se tourne, apparaît en lui une sorte de grandeur importune, ne faut-il pas plutôt l’en plaindre que lui en demander un compte soucieux et sé-