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deviner vos pensées. J’eus honte de cette dernière défiance et lui dis que, réflexion faite, j’aimais mieux, en l’attendant, aller terminer une lettre. C’est celle-ci, cher ami, que je suis obligé de fermer et de jeter à la poste tout à l’heure, si je veux qu’elle parte. À un autre jour la relation de notre visite au couvent.


CHAPITRE XIV

MARIE-GASTON À MADAME LA COMTESSE DE L’ESTORADE


Arcis-sur-Aube, 6 mai 1839.
Madame,

Dans tous les cas, j’aurais profité avec bonheur de la recommandation que vous avez bien voulu me faire de vous écrire pendant mon séjour ici ; mais, en m’accordant cette précieuse faveur, vous ne pouvez vraiment savoir toute l’étendue de votre charité.

Sans vous, madame, et l’honneur que j’aurai de vous entretenir quelquefois, que deviendrais-je, livré à la domination habituelle de mes tristes pensées, dans une ville qui n’a ni monde, ni commerce, ni curiosités, ni environs, et où toute l’activité intellectuelle se résume à la confection du petit-salé, du savon gras et des bas et bonnets de coton.

Dorlange, que je n’appellerai pas toujours de ce nom, vous saurez tout à l’heure pourquoi, est tellement absorbé par les soins de sa brigue électorale, qu’à peine je l’entrevois.

Je vous avais dit, madame, que je me décidais à aller rejoindre notre ami par la considération d’un certain trouble d’esprit qu’accusait une de ses lettres, où il me faisait part d’une grande révolution arrivée dans sa vie.

Aujourd’hui, il m’est permis d’être plus explicite : Dorlange connaît enfin son père. Il est fils naturel du marquis de Sallenauve, dernier rejeton vivant d’une des meilleures