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aussi les choses impénétrables ; il expliquait Louis-Philippe ; il expliquait monsieur Odilon Barrot ; il expliquait monsieur Thiers ; il expliquait les affaires d’Orient ; il expliquait la Champagne ; il expliquait 1789 ; il expliquait le tarif des douanes et les humanitaires, le magnétisme et l’économie de la liste civile.

Ce jeune homme maigre, au teint bilieux, d’une taille assez élevée pour justifier sa nullité sonore, car il est rare qu’un homme de haute taille ait de grandes capacités, outrait le puritanisme des gens de l’extrême gauche, déjà tous si affectés à la manière des prudes qui ont des intrigues à cacher. Toujours vêtu de noir, il portait une cravate blanche qu’il laissait descendre au bas de son cou. Aussi sa figure semblait-elle être dans un cornet de papier blanc, car il conservait ce col de chemise haut et empesé que la mode a fort heureusement proscrit. Son pantalon, ses habits paraissaient toujours être trop larges. Il avait ce qu’on nomme en province de la dignité, c’est-à-dire qu’il se tenait raide et qu’il était ennuyeux ; Antonin Goulard, son ami, l’accusait de singer monsieur Dupin. En effet, l’avocat se chaussait un peu trop de souliers et de gros bas en filoselle noire.

Protégé par la considération dont jouissait son vieux père et par l’influence qu’exerçait sa tante sur une petite ville dont les principaux habitants venaient dans son salon depuis vingt-quatre ans, déjà riche d’environ dix mille francs de rentes, sans compter les honoraires produits par son cabinet et la fortune de sa tante qui ne pouvait manquer de lui revenir un jour, ne mettait pas sa nomination en doute.

Néanmoins, le premier coup de cloche, en annonçant l’arrivée des électeurs les plus influents, retentit au cœur de l’ambitieux en y portant des craintes vagues. Simon ne se dissimulait ni l’habileté ni les immenses ressources du vieux Grévin, ni le prestige que le ministère déploierait en appuyant la candidature d’un jeune et brave officier alors en Afrique, attaché au prince royal, fils d’un des ex-grands citoyens de la France et neveu d’une maréchale.