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tendre la main, serra mollement la mienne, puis me dit :

— Prenez un siége, monsieur, car je n’ai pas encore le droit de vous appeler mon fils.

Quand Jacques Bricheteau et moi fûmes assis :

— Vous n’avez donc, me dit ce singulier père, aucune répugnance à accepter la situation politique dont nous nous sommes occupés pour vous ?

— Au contraire, répondis-je, l’idée m’en avait d’abord étonné, mais je m’y suis rapidement fait, et j’ai exécuté avec soin, pour assurer le succès, toutes les prescriptions qui m’avaient été transmises.

— À merveille, fit le marquis en prenant sur sa table une tabatière d’or qu’il se mit à faire tourner dans ses doigts ; puis, après un moment de silence : Maintenant, ajouta-t-il, je vous dois quelques explications ; notre ami Jacques Bricheteau, s’il veut bien l’avoir pour agréable, va vous les donner.

Ce qui équivalait à l’ancienne formule royale : Mon chancelier vous dira le reste.

— Pour reprendre les choses à leur origine, dit Jacques Bricheteau, en acceptant la procuration qui venait de lui être passée, je dois d’abord, mon cher monsieur, vous faire savoir que vous n’êtes pas un Sallenauve direct. Revenu de l’émigration, aux alentours de 1808, monsieur le marquis, ici présent, fit, vers la même époque, la connaissance de votre mère, et, au commencement de 1809, vous deveniez le fruit de cette liaison. Votre naissance, vous le savez déjà, coûta la vie à votre mère, et, comme un malheur n’arrive jamais seul, peu après cette perte cruelle, monsieur de Sallenauve, compromis dans une conspiration contre le trône impérial, était forcé de s’expatrier. Enfant d’Arcis comme moi, monsieur le marquis voulait bien m’honorer de quelque amitié, et, au moment de son expatriation nouvelle, il me confia le soin de votre enfance ; ce soin, je l’acceptai, je ne dirai pas avec empressement, mais avec la plus vive reconnaissance.

À ce mot, le marquis tendit sa main à Jacques Bricheteau qui était assis à sa portée, et, après une étreinte silencieuse,