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tain redressement, je ne trouve pas mauvais que de temps à autre on fasse connaître à ces grands hommes de gouvernement, qu’à moins de s’appeler Richelieu ou Colbert, on est exposé à toutes les concurrences et forcé de les accepter.

Aussi, par ce côté taquin, je prends goût à mon entreprise, et si je viens à être nommé, à moins que tu ne m’affirmes que, ce soir, j’ai pris de travers le procédé de l’Estorade, je trouverai bien l’occasion de lui faire sentir à lui et aux autres, qu’on peut, quand on le veut bien, enjamber les clôtures de leur petit parc de réserve et s’y carrer comme leur égal.

Mais c’est beaucoup, cher ami, te bavarder de moi et ne point penser aux tristes émotions qui l’attendent à ton retour ici. Comment les supporteras-tu ? au lieu de les détourner de toi, n’iras-tu pas complaisamment à leur rencontre, et ne prendras-tu pas un triste plaisir à raviver leur âcreté ? Mon Dieu ! je te dirai de ces grandes douleurs ce que je te disais, il n’y a qu’un moment, de nos grands hommes de gouvernement : qu’il faut les considérer dans le temps et dans l’espace où elles deviennent insaisissables, imperceptibles, et où il n’en est pas plus tenu compte à l’homme, quand la biographie s’empare de lui, que des cheveux tombés de sa tête, à sa toilette de chaque matin.

L’adorable insensée, avec laquelle tu as passé conjugalement trois années d’ivresse, avait cru mettre la main où était la mort qui, riant de ses arrangements, de ses projets, de ses raffinements, de ses habiletés à parer la vie, l’a brutalement et brusquement saisie. Toi tu es resté, avec la jeunesse, les dons de l’intelligence, et ce qui est une force, ne t’y trompe pas, un désillusionnement profond et prématuré. Que ne fais-tu comme moi, que ne viens-tu me rejoindre dans l’arène politique ? Nous serions deux alors pour le dessein que je médite, et l’on verrait ce que c’est que deux hommes décidés et énergiques formant en quelque sorte un attelage, et tirant ensemble au rude collier de la justice et de la vérité.

Mais trouves-tu que j’ai par trop la prétention de devenir