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Cygne, l’autre pour le comte de Gondreville et pour ses adhérents.

Si, sous la Restauration, la comtesse de Cinq-Cygne usa de l’influence que lui donnait le retour des Bourbons pour ordonner tout à son gré dans le département de l’Aube, le comte de Gondreville sut contrebalancer la royauté des Cinq-Cygne, par l’autorité secrète qu’il exerça sur les libéraux du pays, au moyen du notaire Grévin, du colonel Giguet, de son gendre Keller, toujours nommé député d’Arcis-sur-Aube en dépit des Cinq-Cygne, et enfin par le crédit qu’il conserva dans les conseils de la Couronne, tant que vécut Louis XVIII. Ce ne fut qu’après la mort de ce roi, que la comtesse de Cinq-Cygne put faire nommer Michu, président du tribunal de première instance d’Arcis. Elle tenait à mettre à cette place le fils du régisseur qui périt sur l’échafaud à Troyes, victime de son dévouement à la famille Simeuse, et dont le portrait en pied ornait son salon et à Paris et à Cinq-Cygne. Jusqu’en 1823, le comte de Gondreville avait eu le pouvoir d’empêcher la nomination de Michu.

Ce fut par le conseil même du comte de Gondreville que le colonel Giguet fit de son fils un avocat. Simon devait d’autant plus briller dans l’Arrondissement d’Arcis, qu’il y fut le seul avocat, les avoués plaidant toujours les causes eux-mêmes dans ces petites localités. Simon avait eu quelques triomphes à la cour d’assises de l’Aube ; mais il n’en était pas moins l’objet des plaisanteries de Frédéric Marest le procureur du roi, d’Olivier Vinet le substitut, du président Michu, les trois plus fortes têtes du tribunal.

Simon Giguet, comme presque tous les hommes d’ailleurs, payait à la grande puissance du ridicule une forte part de contributions. Il s’écoutait parler, il prenait la parole à tout propos, il dévidait solennellement des phrases filandreuses et sèches qui passaient pour de l’éloquence dans la haute bourgeoisie d’Arcis. Ce pauvre garçon appartenait à ce genre d’ennuyeux qui prétendent tout expliquer, même les choses les plus simples. Il expliquait la pluie ; il expliquait les causes de la révolution de Juillet ; il expliquait