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donc aborder mon élection à la façon anglaise, c’est pour cela sans doute qu’une profession de foi serait inutile et prématurée. Quant à la recommandation de ne perdre ni de ne me laisser voler la somme dont je serai porteur, ne trouves-tu pas qu’elle me rajeunit d’une façon bien extraordinaire ? Depuis que je l’ai vue écrite, il me prend comme des envies de téter mon pouce et de me commander un bourrelet ; mais monsieur mon père a beau, par toutes ces façons singulières, me mettre l’esprit à la torture, n’était le respect que je lui dois, je m’écrierais, comme Bazile en parlant du comte Almaviva : « Ce diable d’homme a toujours les poches pleines d’arguments irrésistibles. » Je me laisse donc aller, les yeux fermés, au courant qui m’entraîne, et, nonobstant la nouvelle de ta venue prochaine, demain matin, après être passé chez les frères Mongenod, je me mets vaillamment en route, me représentant la stupéfaction des gens d’Arcis, quand ils vont me voir tout à coup tomber au milieu d’eux, à peu près comme ces diablotins qu’un ressort fait jaillir d’une boîte à surprise.

À Paris, j’ai déjà produit mon effet. Le National, hier matin, annonçait ma candidature dans les termes les plus ardents, et il paraît que ce soir, chez le ministre de l’intérieur, où dînait monsieur de l’Estorade, j’aurais été fort longuement tenu sur le tapis. Il faut se hâter d’ajouter, toujours selon monsieur de l’Estorade, que l’impression générale aurait été la certitude de mon insuccès. Tout au plus, dans l’arrondissement d’Arcis, le ministère aurait pu craindre une nomination centre gauche ; quant au parti démocratique que je prétends représenter, on ne peut pas même dire que là il existe ; mais au candidat centre gauche il a été mis bon ordre par l’envoi d’un courtier de l’espèce la plus alerte et la plus déliée, et au moment où je lance mon nom en ballon perdu, l’élection dans le sens conservateur serait déjà assurée.

Au nombre des éléments de ma défaite inévitable, monsieur de l’Estorade a daigné mentionner un détail relativement auquel, cher ami, je m’étonne bien que tu ne m’aies pas adressé un peu de morale, car c’était une des plus agréables calomnies mises en circulation dans le salon Montcornet par le