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Ayant l’air de découvrir ce que je savais depuis une heure :

— Mon Dieu, monsieur, m’écriai-je, après quinze ans de mariage me feriez-vous pour la première fois l’honneur d’être jaloux ? Alors je m’explique que, malgré votre respect pour les convenances, vous ayez profité de ma présence pour entreprendre monsieur Dorlange sur le sujet assez peu convenable de cette femme que l’on croit sa maîtresse ; c’était de la bonne perfidie bien noire, et vous jouiez à le ruiner dans mon esprit.

Ainsi percé à jour, mon pauvre mari battit la campagne et n’eut enfin d’autre ressource que celle de sonner Lucas, auquel il fit une rude semonce ; cela mit fin à l’explication.

Toutefois quoiqu’ayant remporté cette facile victoire, les grands petits événements de cette soirée ne me laissent pas moins sous une détestable impression. Je revenais contente, je croyais savoir enfin à quoi m’en tenir avec monsieur Dorlange. Pour être franche, je ne dois pas vous cacher qu’au moment où il me jeta son fameux : Ne me plaignez pas, comme les femmes sont toujours un peu femmes, j’avais senti comme un petit froissement à mon amour-propre ; mais, tout en montant l’escalier, je m’étais dit que la manière vive et accentuée dont était partie cette parole devait lui prêter grande créance. C’était bien la naïve et franche explosion d’un sentiment vrai ; ce sentiment ne s’adressait pas à moi, il se portait énergiquement ailleurs. Je devais donc être pleinement rassurée.

Mais que pensez-vous de cette habileté conjugale qui, en voulant compromettre auprès de moi un homme dont je ne m’étais que trop occupée, lui fournit l’occasion de paraître dans un plus beau jour, et de s’y donner un nouveau relief ? Car, il n’y avait pas à s’y méprendre, l’espèce d’émotion avec laquelle monsieur Dorlange a repoussé l’insinuation dont il se voyait l’objet, était le cri d’une conscience qui vit en paix avec elle-même, et qui se sent le moyen de confondre la calomnie.

Alors, chère madame, je vous le demande, quel est donc cet homme dont on ne peut trouver le côté vulnérable, et