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heur, ma foi, à qui se présente avec le moindre côté véreux. Eh bien ! je ne dois pas vous le cacher : ce soir, chez le ministre, il a été fort question d’un petit scandale qui, très-véniel dans la vie d’un artiste, prend tout à coup dans celle d’un mandataire du pays une proportion beaucoup plus grave. Vous me comprenez : je veux parler de cette belle Italienne installée dans votre maison ; prenez-y garde, il pourrait bien vous être demandé compte par quelque électeur puritain de la moralité plus ou moins problématique de sa présence chez vous.

La réplique de monsieur Dorlange fut très-digne.

— À ceux, répondit-il, qui pourraient avoir la pensée de m’interroger sur ce détail de ma vie privée, je ne souhaite qu’une chose : c’est de n’avoir pas dans la leur un plus mauvais souvenir. Si déjà, durant notre trajet du collége ici, je n’avais pas assommé madame d’une interminable histoire, je vous conterais, monsieur le comte, celle de ma belle Italienne, et vous verriez que sa présence chez moi ne doit rien me faire perdre de l’estime que jusqu’ici vous avez bien voulu me témoigner.

— Mais, repartit monsieur de l’Estorade se radoucissant tout à coup en apprenant que notre longue course s’était employée à raconter des histoires, vous prenez mon observation bien au tragique ! Moi-même, je vous le disais tout à l’heure : qu’un artiste ait chez lui un beau modèle, il n’y a rien là que de très-naturel, mais ce n’est pas un meuble à l’usage de messieurs les hommes politiques.

— Ce qui paraît être mieux à leur usage, reprit avec une certaine animation monsieur Dorlange, c’est le parti que l’on peut tirer d’une calomnie acceptée avec un mauvais empressement et avant toute vérification. Du reste, loin de craindre une explication sur le sujet dont vous m’entretenez, je la désire, et le ministère me rendrait grand service en chargeant cet agent si merveilleusement habile, qu’il a placé sur mon chemin, de soulever devant les électeurs cette délicate question.

— Enfin, vous partez demain ? demanda monsieur de l’Estorade, voyant qu’il s’était engagé dans une voie où, au