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culière, Marianina, plus que tous les autres, parut heureuse du succès de ma tentative. Marianina était alors une fille de vingt et un ans ; je ne t’en fais pas le portrait puisque tu connais madame de l’Estorade, avec laquelle sa ressemblance est frappante. Déjà musicienne accomplie, cette charmante fille avait pour tous les arts de remarquables dispositions. En venant de temps à autre dans mon atelier pour suivre les progrès de mon travail, qui, du reste, par suite d’un accident, ne fut pas terminé, il lui prit, comme à la princesse Marie d’Orléans, un goût de sculpture, et jusqu’au départ de la famille, qui eut lieu quelques mois avant qu’à mon tour je dusse quitter Rome, mademoiselle de Lanty reçut de moi des leçons.

J’étais à mille lieues de la pensée de recommencer Saint-Preux ou Abeilard ; mais, je dois le dire, c’était avec un rare bonheur que je communiquais ma science. Il y avait dans l’élève tant d’intelligence, tant de promptitude à profiter des moindres indications ; Marianina était à la fois d’une humeur si enjouée et d’un jugement si mûr ; sa voix, quand elle chantait, allait si profondément à l’âme, et à chaque instant, par les domestiques dont elle était adorée, m’arrivait la connaissance de tant d’actions nobles, élevées, charitables, que, sans l’avertissement de son immense fortune qui me tenait à distance, j’aurais pu courir quelque chose de ce danger contre lequel tu entends me prémunir aujourd’hui.

D’autre part, Marianina trouvait mon enseignement lumineux. Bientôt accepté dans la maison sur le pied d’une certaine familiarité, je pus m’apercevoir que ma belle élève ne paraissait pas se déplaire à ma conversation. Lorsque, pour elle et pour sa famille, il fut question d’aller de nouveau habiter Paris, tout à coup, découvrant au séjour de Rome des agréments infinis, elle témoigna un vrai regret de le quitter, et je crois, Dieu me le pardonne, qu’au moment où je pris congé d’elle quelque chose comme une larme vint briller dans ses yeux.

Lors de mon retour à Paris, ma première visite fut pour l’hôtel de Lanty.