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à tomber amoureux de madame de l’Estorade, si même je ne l’étais déjà. Parlons d’abord de la grande désapprobation de monsieur Bixiou, comme on disait autrefois la grande trahison de monsieur de Mirabeau.

D’un seul mot je te peindrai l’homme ; monsieur Bixiou est un envieux. Chez lui, il y avait incontestablement l’étoffe d’un grand artiste ; mais, dans l’économie de son existence, le ventre a tué le cœur et la tête, et à tout jamais, par la domination des appétits sensuels, il s’est rivé à la condition de caricaturiste, c’est-à-dire à la condition d’un homme qui, au jour le jour, s’escompte en menus produits, vrais travaux de forçat, faisant gaiement vivre leur homme, mais n’ayant après eux ni considération, ni lendemain.

Talent avorté et à jamais impuissant, il a dans l’esprit, comme sur le visage, ce grimacement éternel et désespéré que d’instinct la pensée humaine a toujours prêté aux anges déchus. De même que l’esprit de ténèbres s’attaque de préférence aux grands saints, qui lui rappellent le plus durement la nature angélique du haut de laquelle il est tombé, de même monsieur Bixiou se plaît à baver sur les talents et sur les caractères chez lesquels il pressent de la force, de la sève et le dessein courageusement pris de ne se point gaspiller comme lui.

Mais ce qui doit te rassurer un peu sur la portée de ses calomnies et de ses médisances, car, au récit que t’a fait monsieur de l’Estorade, je m’aperçois qu’il entreprend l’une et l’autre partie, c’est que dans le temps même où il se croit le plus savamment occupé à faire de moi une autopsie burlesque, il n’est en mes mains qu’une marionnette obéissante, un pantin dont je tiens les fils et que je fais babiller à ma volonté.

Étant convenu qu’un peu d’ébruitement devait être d’avance donné à ma vocation d’homme d’État, je pensai à me procurer quelques crieurs publics, forts en gueule, comme dit madame Pernelle, et sachant bien donner de la voix. Entre ces trompettes de foire si j’en avais connu une au son plus criard et au jeu plus assourdissant que mons Bixiou, c’est à celle-là, de préférence, que je me fusse