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tions qui produisirent la coalition, tentative éphémère que fit la Chambre des députés pour réaliser la menace d’un gouvernement parlementaire ; menace à la Cromwell qui, sans un Cromwell, ne pouvait aboutir, sous un prince ennemi de la fraude, qu’au triomphe du système actuel où les chambres et les ministres ressemblent aux acteurs de bois que fait jouer le propriétaire du spectacle de Guignolet, à la grande satisfaction des passants toujours ébahis.

L’Arrondissement d’Arcis-sur-Aube se trouvait alors dans une singulière situation, il se croyait libre de choisir un député. Depuis 1816 jusqu’en 1836, on y avait toujours nommé l’un des plus lourds orateurs du côté gauche, l’un des dix-sept qui furent tous appelés grands citoyens par le parti libéral, enfin l’illustre François Keller, de la maison Keller frères, le gendre du comte de Gondreville.

Gondreville, une des plus magnifiques terres de la France, est située à un quart de lieue d’Arcis.

Ce banquier, récemment nommé comte et pair de France, comptait sans doute transmettre à son fils, alors âgé de trente ans, sa succession électorale, pour le rendre un jour apte à la pairie.

Déjà chef d’escadron dans l’état-major, et l’un des favoris du prince royal, Charles Keller, devenu vicomte, appartenait au parti de la cour citoyenne. Les plus brillantes destinées semblaient promises à un jeune homme puissamment riche, plein de courage, remarqué pour son dévouement à la nouvelle dynastie, petit-fils du comte de Gondreville, et neveu de la maréchale de Carigliano ; mais cette élection, si nécessaire à son avenir, présentait de grandes difficultés à vaincre.

Depuis l’accession au pouvoir de la classe bourgeoise, Arcis éprouvait un vague désir de se montrer indépendant. Aussi les dernières élections de François Keller avaient-elles été troublées par quelques républicains, dont les casquettes rouges et les barbes frétillantes n’avaient pas trop effrayé les gens d’Arcis. En exploitant les dispositions du pays, le candidat radical put réunir trente ou quarante voix. Quelques habitants, humiliés de voir leur ville comptée au