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moins que tout autre, est en mesure de savoir ce que c’est que les enfants, et nécessairement il doit, pour eux, manquer d’indulgence. Qu’il y prenne garde pourtant, c’est là un mauvais moyen de me faire sa cour, même sur le pied de la plus simple amitié.

La soirée en famille ne prêtait guère à ce que je pusse le remettre sur le chapitre de son histoire ; mais il ne me sembla pas que lui-même eût un grand empressement à reprendre ce point. Il s’occupa vraiment beaucoup moins de moi que de Naïs, à laquelle, pendant plus d’une heure, il découpa des silhouettes. Il faut dire aussi que madame de Rastignac vint se jeter à la traverse, et que, de mon côté, je dus me donner tout entière à cette visite. Pendant que je lui tenais conversation au coin de la cheminée, à l’autre bout de l’appartement monsieur Dorlange faisait poser Naïs et René, qui vinrent en triomphe m’apporter leur profil très-ressemblant, exécuté en quelques coups de ciseaux.

— Tu ne sais pas, me dit tout bas Naïs, monsieur Dorlange qui veut faire mon buste en marbre !

Tout cela me parut d’assez mauvais goût. Je n’aime pas, qu’admis dans un salon, les artistes aient l’air d’y continuer encore leur métier. Ils semblent par là autoriser cette morgue aristocratique qui souvent ne les trouve pas bons à être reçus pour eux-mêmes.

Monsieur Dorlange nous quitta de bonne heure, et monsieur de l’Estorade, comme il lui est arrivé bien des fois dans sa vie, me donna sur les nerfs, lorsqu’on reconduisant notre convive qui avait voulu s’échapper sans être aperçu, je l’entendis lui dire d’être moins rare, et que je passais chez moi presque toutes mes soirées.

De cette fameuse invitation en famille est résultée, entre mes enfants, une guerre civile : Naïs porte aux nues son cher sauveur et étant soutenue dans son opinion par René qui s’est livré corps et âme moyennant un superbe lancier à cheval que monsieur Dorlange lui a découpé.

Armand, au contraire, le trouve laid, ce qui est incontestable : il dit qu’il ressemble aux portraits de Danton qu’il a vus dans les histoires de la Révolution illustrées, ce qui a