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monsieur est affreuse ; mais, en somme, l’enfant n’est-elle pas dans le vrai ? Seulement elle dit avec une naïveté toute crue ce que nos mœurs démocratiques nous permettent très-bien encore de pratiquer, mais ce qu’elles ne nous permettent plus d’avouer hautement. La fameuse révolution de 89 a du moins servi à installer dans notre société cette vertueuse hypocrisie… Mais me voilà tournant aussi à la politique, et, si je poussais plus loin mes aperçus, vous me diriez de prendre garde, et que déjà monsieur Dorlange a commencé de déteindre sur moi.


CHAPITRE VIII

LA COMTESSE DE L’ESTORADE À MADAME OCTAVE DE CAMPS


Paris, avril 1839.

Pendant près de deux semaines, chère madame, on n’a plus entendu parler de monsieur Dorlange. Non-seulement il n’a pas jugé convenable de venir reprendre la confidence si malencontreusement interrompue par madame de la Bastie ; mais il n’a pas même paru se souvenir qu’à la suite d’un dîner chez les gens on leur doit, pour le moins, une carte à huitaine.

Nous étions hier matin à déjeuner, et, sans aigreur, en manière de conversation, je venais de faire cette remarque, quand notre Lucas, qui, en sa qualité de vieux domestique, se permet parfois des familiarités un peu hasardées, se fait ouvrir triomphalement la porte de la salle à manger, et en même temps qu’il remet un billet à monsieur de l’Estorade, il dépose au milieu de la table un je ne sais quoi, soigneusement enveloppé de papier de soie, et que d’abord je prends pour un plat monté.

— Qu’est-ce que c’est que cela ? dis-je à Lucas, sur le visage duquel je lisais l’annonce d’une surprise, et en même temps j’avance la main pour dégager l’inconnu.