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moi, qui ne viens là que de la seconde main ? N’oublions-nous pas, d’ailleurs, un peu trop sa belle gouvernante, et à supposer même dans cette habitude beaucoup plus de sens que de cœur, ne faut-il pas admettre qu’au moins, relativement, cette fille doit être pour moi une sorte de garde-fou ?

À ce compte, chère madame, avec toutes mes terreurs, dont je vous ai rebattue, je serais passablement ridicule et j’aurais quelque peu l’air de Bélise des Femmes savantes, aheurtée à l’idée que tout ce qui la voit tombe fatalement amoureux d’elle.

Je m’abandonnerais pourtant de grand cœur à ce plat dénoûment. Amoureux ou non, monsieur Dorlange est un caractère élevé et un esprit d’une distinction rare, et si, par des prétentions déplacées, il n’arrivait pas à se rendre impossible, on aurait assurément plaisir et honneur à le compter au nombre de ses amis. Le service qu’il nous a rendu le prédestine d’ailleurs à ce rôle, et je serais vraiment aux regrets d’avoir à le traiter avec dureté.

Dans ce cas, je me brouillerais avec Naïs, qui, chose bien naturelle, raffole de son sauveur. Le soir quand il fut parti :

— Maman, comme il parle bien, monsieur Dorlange ! me dit-elle avec un petit air d’approbation tout à fait amusant.

À propos de Naïs, voilà l’explication qu’elle m’a donnée de cette réticence dont je m’étais si fort émue.

— Dame ! maman, je croyais que tu l’avais remarqué aussi. Mais après qu’il a eu arrêté les chevaux, comme tu n’as pas eu l’air de le connaître, et qu’il n’a pas une figure trop distinguée, j’ai cru que c’était un homme.

— Comment ! un homme ?

— Eh bien oui ! un de ces gens auxquels on ne fait pas attention. Mais quel bonheur, quand j’ai su que c’était un monsieur ! tu m’as bien entendue, comme je me suis écriée ; Ah ! c’est vous le monsieur qui m’a sauvée !

Si l’innocence est entière, il y a dans cette explication un vilain côté de vanité sur lequel vous pensez bien que j’ai fait une grande morale. Cette distinction de l’homme et du