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positivement surpris de la forte et puissante aptitude politique qui venait de se révéler à eux. L’aveu est d’autant plus remarquable que ces messieurs, par tempérament autant que par position, se trouvent être de zélés conservateurs, tandis que la pente de monsieur Dorlange l’entraîne d’une façon marquée vers les idées démocratiques.

Par le côté de cette supériorité inattendue qui se déclarait chez mon problématique amoureux, il commença de me rassurer un peu. La politique, en effet, est à elle seule une passion absorbante et dominatrice qui n’en laisse pas facilement une autre s’épanouir à ses côtés. Néanmoins, j’étais décidée à aller au fond de notre situation, et, après le dîner, j’attirai insidieusement notre homme dans un de ces tête-à-tête qu’il est toujours si facile à une maîtresse de maison de ménager.

Après avoir un peu parlé de monsieur Marie-Gaston, notre ami commun, des exaltations de ma pauvre Louise et de mes inutiles et constants efforts pour les tempérer, ne marchandant pas à le placer sur un terrain où il eût toute commodité pour engager l’attaque, je lui demandai si bientôt sa sainte Ursule se mettrait en route.

— Tout est prêt, me répondit-il, pour son départ ; mais j’ai besoin, madame, de votre exeat et que vous vouliez bien me dire si je dois ou non modifier quelque chose à son expression.

— Une question d’abord, répliquai-je : votre œuvre, en supposant que j’y désirasse quelque changement, doit-elle beaucoup perdre à être ainsi remaniée ?

— C’est probable : pour si peu qu’on lui rogne les ailes, l’oiseau est toujours empêché dans son vol.

— Autre curiosité : Est-ce moi ou l’autre personne que votre statue reproduit avec le plus de fidélité ?

— Vous, madame, cela va sans dire : vous êtes le présent, et elle le passé.

— Mais laisser là le passé pour le présent, cela, monsieur, le savez-vous ? s’appelle d’un assez vilain nom, et de mauvais entraînement, vous l’avouez avec une naïveté et avec une aisance qui ont quelque chose d’effrayant.