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sent les femmes du Transtevère : tel est le portrait de notre introductrice, qui nous fait pénétrer dans une galerie encombrée d’objets d’art par laquelle est précédé l’atelier.

Pendant que la belle gouvernante annonçait monsieur le comte et madame la comtesse de l’Estorade, monsieur Dorlange, dans un costume d’atelier assez pittoresque, et nous tournant le dos, se hâtait de ramener un ample rideau de serge verte sur une statue à laquelle il travaillait avant notre venue.

Au moment où il se retourne et avant que j’aie eu le temps de l’envisager, imaginez mon étonnement en voyant Naïs se précipitant vers lui, et avec une naïveté tout enfantine se jeter presqu’à son cou, en s’écriant :

— Ah ! c’est vous le monsieur qui m’a sauvée !

— Comment ! le monsieur qui l’a sauvée ? Mais à ce compte monsieur Dorlange se trouverait donc être ce fameux inconnu ? — Oui, madame, et tout d’abord, comme Naïs, je constatai que c’était lui. — Mais, s’il était l’inconnu, il était aussi le fâcheux. — Oui, madame, le hasard, qui est bien souvent le plus habile des romanciers, avait voulu que monsieur Dorlange fût tout cela, et dès ma dernière lettre, à ce qu’il me semble, vous auriez dû vous en douter, rien qu’à la manière un peu prolixe dont je vous déduisais sa vie. — Mais alors, vous, ma chère comtesse, tombée ainsi dans son atelier !… — Moi ! madame, ne m’en parlez pas, émue, tremblante, rougissant, pâlissant, un moment je dus offrir le spectacle du dernier désordre qui se puisse imaginer.

Heureusement mon mari se lança dans un compliment assez compliqué de père heureux et reconnaissant. Pendant ce temps, j’eus le loisir de me remettre, et quand à mon tour je dus prendre la parole, j’avais installé sur mon visage un de mes plus beaux airs de l’Estorade, comme il vous plaît de les appeler ; vous savez, je marque alors vingt-cinq degrés au-dessous de zéro et ferais geler la parole sur les lèvres du plus ardent des amoureux. J’espérais ainsi tenir monsieur l’artiste à distance et faire obstacle à ce qu’il s’avisât de prendre avantage de ma sotte présence chez lui.