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ami, à une belle-fille et à deux neveux, dont il était le soutien, Marie-Gaston s’était jeté dans une chaise de poste qui l’emportait vers l’Italie.

Dorlange trouva que cet égoïsme de douleur comblait la mesure, et il crut avoir effacé de son cœur jusqu’au dernier souvenir d’une amitié qui, même au souffle du malheur, n’avait pas reverdi.

Mon mari et moi avions trop tendrement aimé Louise de Chaulieu pour ne pas continuer à celui qui, trois années durant, avait été toute sa vie, quelque chose de ce sentiment. En partant, Marie-Gaston avait prié monsieur de l’Estorade de vouloir bien rester chargé de tous ses intérêts, et plus tard il lui avait fait parvenir une procuration dans ce sens.

Il y a quelques semaines, sa douleur, toujours active et vivante, lui suggéra une pensée. Au milieu du fameux parc de Ville-d’Avray a été ménagé un petit lac, et au milieu de ce lac s’élève une île, que Louise affectionnait. Dans cette île, ombreux et calme réduit, Marie-Gaston voulait faire transporter le tombeau de sa femme, et de Carrare, où il s’était rendu pour mieux évaluer la dépense des marbres, il nous écrivit pour nous communiquer son idée. Cette fois, ayant mémoire de Dorlange, il pria mon mari de passer chez lui, pour savoir s’il consentirait à se charger de ce monument.

Dorlange feignit d’abord de ne pas même se rappeler le nom de Marie-Gaston, et, sous un prétexte poli, il refusa la commande. Mais chez ceux qui aiment, admirez la solidité des partis pris ! Le soir même du jour où il avait éconduit monsieur de l’Estorade, se trouvant à l’Opéra, il entend le duc de Rhétoré parler légèrement de son ancien ami, et relève avec la dernière vivacité ses paroles. De là un duel où il est blessé et dont le bruit est certainement arrivé jusqu’à vous : en sorte que voilà un homme se mettant en passe de se faire tuer pour celui que, le matin même, il reniait désespérément.

Comment, chère madame, ce long exposé se relie à ma ridicule aventure, c’est ce que je vous dirais si déjà ma