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Très-haute et très-puissante dame Louise de Chaulieu, baronne de Macumer, avait exigé qu’il en fût ainsi.

Le moment du mariage arrivé, la passion du secret s’était poussée chez madame de Macumer jusqu’à une sorte de frénésie. À peine, moi, son amie la plus chère, m’avisa-t-elle de l’événement, et personne ne fut admis à la cérémonie.

Pour satisfaire au vœu de la loi, il fallut bien pourtant des témoins. Mais en même temps que, de son côté, Marie-Gaston conviait deux amis à lui rendre ce service, il leur signifiait une amiable et complète rupture. Pour tout autre que pour sa femme, passée à l’état d’une pure abstraction, « l’amitié, écrivait-il à Daniel Darthez, subsistera sans l’ami. » Louise, je pense, pour plus de discrétion, eût fait égorger les témoins au sortir de la mairie, n’était un peu de respect qu’elle conservait pour monsieur le procureur du roi.

Dorlange était absent ; chance trop heureuse pour ne pas tout lui cacher. Entré au couvent de la Trappe, Marie-Gaston eût été moins pour lui.

À force d’écrire à des amis communs et de se renseigner, l’abandonné finit pourtant par apprendre que Marie-Gaston n’habitait plus la terre, et que, comme Titon, une divinité jalouse l’avait mythologiquement ravi dans un Olympe champêtre qu’elle avait fait tout exprès disposer au milieu des bois de Ville-d’Avray.

En 1836, quand il revint de Rome, le séquestre mis sur la personne de Marie-Gaston durait plus que jamais étroit et inexorable. Dorlange avait trop d’amour-propre pour s’introduire furtivement ou de vive force dans le sanctuaire élevé par Louise et ses folles amours ; pour rompre son ban et s’échapper des jardins d’Armide, Marie-Gaston était trop cruellement épris. Les deux amis, chose presque incroyable, ne se virent pas et n’échangèrent même pas un billet.

Mais à la nouvelle de la mort de madame Marie-Gaston, Dorlange a tout oublié et le voilà courant à Ville-d’Avray pour y porter des consolations. Empressement inutile : deux heures après la triste cérémonie, sans penser à son