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tenu pour le plus gauche des soupirants, il devait venir s’enquérir auprès de moi des suites qu’avait pu avoir pour la santé de Naïs et pour la mienne l’accident dans lequel il était intervenu.

Mais, contre toutes les prévisions, s’obstinât-il à ne pas descendre de son nuage, sous l’inspiration de votre judicieux conseil, mon parti était résolûment pris. La montagne ne venant pas à moi, je m’en allais à la montagne ; comme Hippolyte dans le récit de Théramène, je poussais droit au monstre et lui tirais à bout portant ma reconnaissance.

Comme vous, chère madame, j’en étais venue à comprendre que le côté vraiment dangereux de cette sotte obsession, c’était sa durée et l’éclat tôt ou tard inévitable dont elle me menaçait.

Mes domestiques, mes enfants pouvant d’un moment à l’autre être mis dans le secret ; les fâcheux commentaires auxquels il m’exposait s’il était surpris par des étrangers ; mais par-dessus tout, l’idée de cette ridicule intrigue venant à être éventée par monsieur de l’Estorade, et le poussant à des extrémités que sa tête méridionale et les souvenirs de son passé militaire ne me faisaient que trop deviner ; tout cela m’avait animée à un tel point que je ne saurais dire, et votre programme lui-même eût été dépassé.

Non-seulement j’acceptais la nécessité de parler à ce monsieur la première ; mais sous le spécieux prétexte que mon mari entendait bien aller le remercier chez lui, je le mettais dans la nécessité de me décliner son nom et sa demeure ; puis, pour peu qu’il fût un personnage sortable, dès le lendemain je lui adressais une invitation à dîner, décidée que j’étais ainsi à enfermer le loup dans la bergerie.

Après tout, où était le danger ?

S’il avait seulement l’ombre du sens commun, en voyant toute ma façon d’être avec monsieur de l’Estorade, ma passion forcenée pour mes enfants, comme vous l’appelez plaisamment ; en un mot, toute la sage économie de mon intérieur, ne devait-il pas reconnaître la vanité de son insistance ? Dans tous les cas, qu’il s’acharnât ou non, ses ardeurs per-