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Il ne remarque pas, le naïf rêveur, que la civilisation, en compliquant d’étrange sorte les rapports sociaux, absorbe pour les affaires, pour les intérêts, pour les plaisirs, trois fois plus de temps que n’en dépense, pour le même objet, une société moins avancée. Voyez le sauvage dans sa hutte, il n’a rien à faire ! Mais nous, avec la Bourse, l’Opéra, les journaux, les discussions parlementaires, les salons, les élections, les chemins de fer, le café de Paris et la garde nationale, à quel moment, s’il vous plaît, veut-on que nous travaillions ?

— Belle théorie de fainéant ! dit en riant Émile Blondet.

— Mais non, mon cher, je suis dans le vrai. Le couvre-feu, que diable ! ne sonne plus à neuf heures, et hier encore, jusque chez mon concierge Ravenouillet, il y avait une soirée (voir les Comédiens sans le savoir) ; peut-être même ai-je commis une lourde faute en déclinant l’invitation indirecte qu’il m’avait faite d’y assister.

— Pourtant, dit Joseph Bridau, il est clair que si on ne se mêle ni aux affaires, ni aux intérêts, ni aux plaisirs de son époque, on arrive à se faire, ce temps épargné, un joli capital. Indépendamment de ses commandes, Dorlange a, je crois, personnellement quelque aisance : rien ne l’empêche donc d’arranger sa vie comme il l’entend.

— Mais vous voyez bien que lui-même va à l’Opéra, puisque c’est là qu’il a récolté son duel ! Vous tombez bien, d’ailleurs, en nous le représentant comme isolé de tout le milieu contemporain, quand je le sais, moi, tout près de s’y relier par le plus tapageur et le plus absorbant engrenage de la machine sociale, à savoir l’intérêt politique.

— Il veut se faire homme politique ? demanda dédaigneusement Émile Blondet.

— Sans doute, cela rentre dans son fameux programme d’universalité, et il faut voir la suite et la persévérance qu’il met à cette idée ! L’an dernier deux cent cinquante mille francs lui tombent du ciel, et aussitôt mon homme d’acquérir dans la rue Saint-Martin une masure pour se constituer le cens électoral ; puis, autre jolie spéculation : avec le reste de la somme, il se fait actionnaire du