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vers monsieur de Ronquerolles, qu’il constituait ainsi l’un de ses témoins : Je vous demande pardon, mon cher, lui dit-il, du voyage de découverte que vous aurez à entreprendre demain dans la matinée. Et presque aussitôt il ajouta : Venez-vous au foyer ? nous y causerons plus tranquillement et surtout plus sûrement.

Par sa manière d’accentuer ce dernier mot, il était impossible de se méprendre sur le sens désobligeant qu’il entendait y attacher.

Ces messieurs sortis, sans que cette scène eût causé le moindre esclandre, attendu le vide que l’entr’acte avait fait dans les stalles environnantes, monsieur Dorlange avisa à l’autre bout de l’orchestre monsieur Stidmann, le célèbre sculpteur. Allant à lui :

— Auriez-vous sur vous, lui demanda-t-il, un agenda, un album de poche ?

— Oui, toujours.

— Voulez-vous bien me le prêter et me permettre d’en détacher une feuille ? Il vient de me passer par l’esprit une idée que je ne voudrais pas perdre. Si je ne vous retrouve pas à la fin du spectacle pour vous faire restitution, l’objet sera chez vous, sans faute, demain matin.

De retour à sa place, monsieur Dorlange esquissa rapidement quelque chose, et, au lever du rideau, quand messieurs de Rhétoré et de Ronquerolles vinrent reprendre leurs stalles, touchant légèrement l’épaule du duc, et lui faisant passer son dessin : — Ma carte, dit-il, que j’ai l’honneur d’offrir à Votre Seigneurie.

Cette carte était une charmante esquisse, d’architecture sculpturale, encadrée d’un paysage. Au bas était écrit : Projet d’un monument à élever à la mémoire de madame Marie-Gaston, née Chaulieu, par son mari, sur les dessins de Charles Dorlange, statuaire, rue de l’Ouest, 42.

Il était impossible de faire savoir plus finement à monsieur de Rhétoré qu’il aurait affaire à un adversaire sortable, et vous remarquerez d’ailleurs, cher monsieur, que monsieur Dorlange trouvait ainsi le moyen de peser sur son démenti, en donnant, pour ainsi parler, un corps à son affirmation