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soi, de se recueillir, de passer, en un mot, par toute la solennité d’une confidence écrite.

Mais, après tout, peut-être vaut-il mieux payer d’effronterie, et puisque, nonobstant les circonlocutions et les préambules, force serait toujours d’en venir là, pourquoi ne pas tout naïvement vous avouer qu’il va être question de cet inconnu par lequel ma pauvre et chère enfant a été sauvée.

Inconnu ! Entendons-nous bien : inconnu pour monsieur de l’Estorade ; inconnu pour tous ceux qui ont pu vous parler de l’accident ; inconnu, si vous le voulez, pour le monde entier, mais non pas inconnu pour votre humble servante que, depuis près de trois mois, cet homme daigne honorer de l’attention la plus obstinée.

Qu’à trente-deux ans passés, mère de trois enfants, dont un grand fils de quinze ans, j’aie pu devenir l’objet d’une recherche passionnée, pas plus à vous qu’à moi, chère madame, le fait ne paraîtra vraisemblable, et pourtant, c’est là le ridicule malheur contre lequel j’ai à me défendre aujourd’hui.

Et quand je dis que cet inconnu m’est connu, encore faut-il bien distinguer : car je ne sais ni son nom, ni sa demeure, ni rien de ce qui le regarde ; car je ne l’ai jamais rencontré dans le monde, et j’ajoute, quoiqu’il porte le ruban de la Légion d’honneur, que rien dans sa tournure, absolument dépourvue d’élégance, ne me donne à penser que jamais j’aie la chance de l’y rencontrer.

C’est à Saint-Thomas-d’Aquin, où vous savez que tous les jours j’avais l’habitude d’aller entendre la messe, que cette fatigante obsession a commencé de se dessiner. Presque tous les jours aussi, je menais mes enfants prendre l’air aux Tuileries, monsieur de l’Estorade nous ayant installés dans une maison sans jardin. Cette habitude, bientôt remarquée, a d’autant animé mon persécuteur, et partout où je pouvais être rencontrée hors de chez moi, il a fallu me résigner à le retrouver sur mon chemin.

Discret d’ailleurs autant qu’audacieux, ce singulier soupirant, j’en ai fait la remarque, évitait toujours de me con-