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Cependant, comme il faut servir ses amis un peu à leur mode, j’ai fait votre commission auprès de monsieur Dorlange ; mais, je dois me hâter de vous le dire, je n’ai trouvé chez lui aucun empressement à entrer dans votre pensée. Son premier mot, quand je me suis annoncé chez lui de votre part, a été qu’il n’avait pas l’honneur de vous connaître, et cette réponse, toute singulière qu’elle puisse vous paraître, m’a été faite avec tant de naturel, que, d’abord, j’ai cru à quelque méprise, résultat d’une confusion de noms.

Néanmoins comme, un peu après, votre oublieux ami voulut bien convenir qu’il avait fait ses études au collége de Tours, et comme encore, de son aveu, il se trouve bien être le même monsieur Dorlange qui, en 1831, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, remporta le grand prix de sculpture, aucun doute ne pouvait me rester sur son identité. Je m’expliquai alors son défaut de mémoire par cette longue interruption que vous-même m’aviez signalée dans vos relations. Votre procédé l’aura blessé plus vivement que vous ne vous l’étiez figuré, et quand il s’est donné l’air d’avoir oublié jusqu’à votre nom, c’était tout simplement une revanche dont il n’était pas fâché de saisir l’occasion.

Mais là n’est pas l’obstacle réel.

En me rappelant la fraternelle intimité qui vous a unis à une autre époque, je ne pouvais croire la mauvaise humeur de monsieur Dorlange inexorable. Aussi, après lui avoir exposé la nature du travail dont il serait question de le charger, me disposais-je à entrer avec lui dans quelques explications, relativement aux griefs qu’il pouvait nourrir contre vous, quand tout à coup je me suis trouvé face à face avec un obstacle de la nature la plus imprévue.

« Mon Dieu, — me dit-il, — l’importance de la commande que vous voulez bien m’offrir ; cette assurance qu’on entend bien ne rien épargner pour la grandeur et la perfection de l’œuvre ; cette invitation qui m’est faite de me rendre à Carrare, pour présider moi-même au choix et à l’extraction des marbres, tout cela constitue une vraie bonne fortune d’ar-