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— Dans ce moment je ne peux donc rien pour vous, reprit Rastignac ; nous n’aurons pas le pouvoir dans six mois. Oui, ces six mois vont être une agonie, je le savais ; nous connaissons notre sort en nous formant, nous sommes un ministère bouche-trou. Mais si vous vous distinguez au milieu de la bataille électorale qui va se livrer, si vous apportez une voix, un député fidèle à la cause dynastique, on accomplira votre désir. Je puis parler de votre bonne volonté, je puis mettre le nez dans les documents secrets, dans les rapports confidentiels, et vous trouver quelque rude tâche. Si vous réussissez, je puis insister sur vos talents, sur votre dévouement, et réclamer la récompense. Votre mariage, mon cher, ne se fera que dans une famille d’industriels ambitieux et en province. À Paris, vous êtes trop connu. Il s’agit donc de trouver un millionnaire, un parvenu doué d’une fille, et possédé de l’envie de parader au château des Tuileries.

— Faites-moi prêter, par votre beau-père, vingt-cinq mille francs pour attendre jusque-là ; il sera intéressé à ce qu’on ne me paye pas en eau bénite de cour après le succès, et il poussera au mariage.

— Vous êtes fin, Maxime, vous vous défiez de moi ; mais j’aime les gens d’esprit, j’arrangerai votre affaire.

Ils étaient arrivés. Le baron de Rastignac vit dans le salon le ministre de l’intérieur et alla causer avec lui dans un coin.

Le comte Maxime de Trailles était, en apparence, occupé de la vieille comtesse de Listomère ; mais il suivait, en réalité, le cours de la conversation des deux pairs de France ; il épiait leurs gestes, il interprétait leurs regards, et finit par saisir un favorable coup d’œil jeté sur lui par le ministre.

Maxime et Rastignac sortirent ensemble à une heure du matin, et, avant de monter chacun dans leurs voitures, Rastignac dit à de Trailles, sur les marches de l’escalier : Venez me voir à l’approche des élections. D’ici là, j’aurai vu dans quelle localité les chances de l’opposition sont les plus mauvaises, et quelles ressources y trouveront deux esprits comme les nôtres.