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de madame de Restaud, la sœur de madame Delphine de Nucingen, mère de la jeune comtesse de Rastignac.

Le monde de Paris offre des bizarreries inimaginables. La baronne de Nucingen se trouvait en ce moment dans le salon de madame d’Espard, devant l’auteur de tous les maux de sa sœur, devant un assassin qui n’avait tué que le bonheur d’une femme. Voilà pourquoi, sans doute, il était là. Madame de Nucingen avait dîné chez la marquise avec sa fille, mariée depuis un an au comte de Rastignac, qui avait commencé sa carrière politique en occupant une place de sous-secrétaire d’État dans le célèbre ministère de feu de Marsay, le seul grand homme d’État qu’ait produit la révolution de Juillet.

Le comte Maxime de Trailles savait seul combien de désastres il avait causés ; mais il s’était toujours mis à l’abri du blâme en obéissant aux lois du Code-Homme. Quoiqu’il eût dissipé dans sa vie plus de sommes que les quatre bagnes de France n’en ont volé durant le même temps, la Justice était respectueuse pour lui. Jamais il n’avait manqué à l’honneur, il payait scrupuleusement ses dettes de jeu. Joueur admirable, il faisait la partie des plus grands seigneurs et des ambassadeurs. Il dînait chez tous les membres du corps diplomatique. Il se battait ; il avait tué deux ou trois hommes en sa vie, il les avait à peu près assassinés, car il était d’une adresse et d’un sang-froid sans pareils. Aucun jeune homme ne l’égalait dans sa mise, ni dans sa distinction de manières, dans l’élégance des mots, dans la désinvolture, ce qu’on appelait autrefois avoir un grand air. En sa qualité de page de l’empereur, formé dès l’âge de douze ans aux exercices du manége, il passait pour un des plus habiles écuyers. Ayant toujours eu cinq chevaux dans son écurie, il faisait alors courir, il dominait toujours la mode. Enfin personne ne se tirait mieux que lui d’un souper de jeunes gens, il buvait mieux que le plus aguerri d’entre eux, et sortait frais, prêt à recommencer, comme si la débauche était son élément. Maxime, un de ces hommes méprisés qui savent comprimer le mépris qu’ils inspirent par l’insolence de leur attitude et la peur qu’ils causent, ne s’abusait jamais sur sa