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doute que nous fussions passés afin de tuer nos traînards. Avant de les faire fusiller, Rusca me montra leurs mains gauches. Dans ce pays, les chasseurs ont l’habitude de verser la poudre nécessaire pour la charge de leurs carabines dans le creux de leurs mains, et la poudre y laisse une empreinte assez difficile à distinguer, mais que l’œil de Rusca savait y voir avec une grande dextérité. Dès l’enfance, il avait observé ce singulier diagnostic, et il lui suffisait de voir les mains des paysans pour deviner s’ils avaient récemment fait le coup de fusil. Le second jour, nous rencontrâmes un vieillard, septuagénaire au moins, perché sur un arbre et occupé à l’émonder. Rusca le fit descendre et lui examina la main gauche ; par malheur, il crut y apercevoir le signe fatal, et, quoique le pauvre homme parût bien innocent, il ordonna de l’attacher à l’affût d’un canon. Ce malheureux fut obligé de suivre, et nous allions au petit trot. De temps en temps il gémissait ; les cordes lui enflaient les mains ; il se trouva bientôt dans un état pitoyable ; ses pieds saignaient ; il avait perdu ses sabots, et j’ai vu tomber de grosses larmes de sang de ses yeux. Nos canonniers, qui avaient commencé par rire, en eurent compassion,