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L’HOMME DE COUR

CLXIV

Tirer quelques coups en l’air.

C’est le moyen de reconnaître comment sera reçu ce que l’on prétend faire, surtout quand ce sont des choses dont l’issue et l’approbation sont douteuses. C’est par là qu’on tire à coup sûr, et qu’on est toujours maître de reculer ou d’avancer. C’est ainsi que l’on sonde les volontés, et que l’on sait où il fait bon mettre le pied. Cette prévention est très nécessaire pour demander à propos, pour bien placer son amitié, et pour bien gouverner.

CLXV

Faire bonne guerre.

On peut bien obliger un brave homme à faire la guerre, mais non pas à la faire autrement qu’il ne doit. Chacun doit agir selon ce qu’il est, et non point selon ce que sont les autres. La galanterie est plus plausible quand on en use envers un ennemi. Il ne faut pas vaincre seulement par la force, mais encore par la manière. Vaincre en scélérat, ce n’est pas vaincre, mais bien se laisser vaincre ; la générosité a toujours eu le dessus. L’homme de bien ne se sert jamais d’armes défendues. C’est s’en servir que d’employer le débris de l’amitié qui finit, à former la haine qui commence ; car il n’est pas permis de se prévaloir de la confiance pour se venger. Tout ce qui sent la trahison infecte le bon renom. Le moindre atome de bassesse est incompatible