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L’HOMME DE COUR

XCV

Savoir entretenir l’attente d’autrui.

Le moyen de l’entretenir est de lui fournir toujours de nouvelle nourriture. Le beaucoup doit promettre davantage ; une grande action doit servir d’aiguillon à d’autres encore plus grandes. Il ne faut pas tout montrer dès la première fois. C’est un coup d’adresse de savoir mesurer ses forces au besoin et au temps, et de s’acquitter de jour en jour de ce que l’on doit à l’attente publique.

XCVI

La syndérèse.

C’est le trône de la raison et la base de la prudence. Quand on la consulte, il est aisé de ne point faillir. C’est un don du ciel et qui, de l’importance qu’il est, ne saurait être trop désiré. C’est la première pièce du harnois de l’homme ; et elle lui est si nécessaire qu’elle lui suffirait, quand même tout le reste lui manquerait. Toutes les actions de la vie dépendent de son influence, et sont estimées bonnes ou mauvaises selon qu’elle en juge, attendu que tout doit être fait par raison. Elle consiste dans une inclination naturelle qui porte à l’équité, et prend toujours le parti le plus sûr.