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L’HOMME DE COUR

du non mal assaisonné qui a précédé. Il ne faut pas refuser tout-à-plat, mais faire goûter son refus à petites gorgées, pour ainsi dire. Il ne faut pas non plus tout refuser, de peur de désespérer les gens, mais au contraire laisser toujours un reste d’espérance pour adoucir l’amertume du refus. Que la courtoisie remplisse le vide de la faveur, et que les bonnes paroles suppléent au défaut des bons effets. Oui et non sont bien courts à dire ; mais, avant que de les dire, il y faut penser longtemps.

LXXI

N’être point inégal et irrégulier dans son procédé.

L’homme prudent ne tombe jamais dans ce défaut, ni par humeur, ni par affectation. Il est toujours le même à l’égard de ce qui est parfait, qui est la marque du bon jugement. S’il change quelquefois, c’est parce que les occasions et les affaires changent de face. Toute inégalité messied à la prudence. Il y a des gens qui, chaque jour, sont différents d’eux-mêmes, ils ont même l’entendement journalier, encore plus la volonté et la conduite. Ce qui était hier leur agréable oui est aujourd’hui leur désagréable non. Ils démentent toujours leur procédé et l’opinion qu’on a d’eux, parce qu’ils ne sont jamais eux-mêmes.