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L’HOMME DE COUR

le palais, et le logement la cabane. Ces gens-là n’ont rien où l’on se puisse fixer, ou plutôt tout y est fixe ; car, après la première salutation, la conversation finit. Ils font leur compliment d’entrée, comme les chevaux de Sicile font leurs caracols, et puis ils se métamorphosent tout à coup en taciturnes ; car les paroles s’épuisent aisément quand l’entendement est stérile. Il leur est facile d’en tromper d’autres qui n’ont aussi, comme eux, que l’apparence ; mais ils sont la fable des gens de discernement, qui ne tardent guère à découvrir qu’ils sont vides au-dedans.

XLIX

L’homme judicieux et pénétrant.

Il maîtrise les objets, et jamais n’en est maîtrisé. Sa sonde va incontinent jusqu’au fond de la plus haute profondeur ; il entend parfaitement à faire l’anatomie de la capacité des gens ; il n’a qu’à voir un homme pour le connaître à fond, et dans toute son essence ; il déchiffre tous les secrets du cœur les plus cachés ; il est subtil à concevoir, sévère à censurer, judicieux à tirer ses conséquences ; il découvre tout ; il remarque tout ; il comprend tout.

L

Ne se perdre jamais le respect à soi-même.

Il faut être tel que l’on n’ait pas de quoi rougir devant soi-même. Il ne faut point d’autre