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L’HOMME DE COUR

homme. Ce caractère ne vient pas toujours d’indolence, mais souvent d’incapacité. Se ressentir quand il faut, c’est une action de maître homme. Les oiseaux ne tardent pas à se moquer des mannequins. Mêler l’aigre et le doux, c’est la marque d’un bon goût. La douceur toute seule ne sied qu’aux enfants et aux idiots. C’est un grand mal que de donner dans cette insensibilité, à force d’être trop bon.

CCLXVII

Paroles de soie.

Les flèches percent le corps, les mauvaises paroles l’âme. Une bonne paste fait bonne bouche. C’est une grande adresse dans la vie que de savoir vendre l’air. Presque tout se paye avec des paroles, et elles suffisent pour tirer d’affaire dans l’impossible. L’on négocie en l’air, et avec de l’air ; et une haleine vigoureuse est de longue durée. Il faut avoir la bouche toujours pleine de sucre pour confire les paroles, car alors les ennemis même y prennent goût. L’unique moyen d’être aimable, c’est d’être affable.

CCLXVIII

Le sage doit faire au commencement ce que le fou fait à la fin.

L’un et l’autre font la même chose ; la différence est que l’un l’a fait à temps, et l’autre à contretemps. Celui qui, au commencement, s’est