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L’HOMME DE COUR

les changer en perfections, comme fit Jules César qui, étant chauve, couvrit ce défaut de l’ombre de ses lauriers.

XXIV

Modérer son imagination.

Le vrai moyen de vivre heureux, et d’être toujours estimé sage, est, ou de la corriger, ou de la ménager. Autrement, elle prend un empire tyrannique sur nous, et, sortant des bornes de la spéculation, elle se rend si fort la maîtresse que la vie est heureuse ou malheureuse selon les différentes idées qu’elle nous imprime. Car il y en a à qui elle ne représente que des peines, et dont la folie la fait devenir leur bourreau domestique ; et d’autres à qui elle ne propose que des plaisirs et des grandeurs, se plaisant à les divertir en songe. Voilà tout ce que peut l’imagination, quand la raison ne la tient pas en bride.

XXV

Être bon entendeur.

Savoir discourir, c’était autrefois la science des sciences ; aujourd’hui cela ne suffit pas, il faut deviner, et surtout en matière de se désabuser. Qui n’est pas bon entendeur ne peut pas être bien entendu. Il y a des espions du cœur et des intentions. Les vérités qui nous importent davantage ne sont jamais dites qu’à demi. Que