Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
L’HOMME DE COUR

CCXVII

Il ne faut ni aimer, ni haïr pour toujours.

Vis aujourd’hui avec tes amis comme avec ceux qui peuvent être demain tes pires ennemis. Puisque cela se voit par l’expérience, il est bien juste de donner dans la prévention. Garde-toi de donner des armes aux transfuges de l’amitié, d’autant qu’ils t’en font la plus cruelle guerre. Au contraire, à l’égard de tes ennemis, laisse toujours une porte ouverte à la réconciliation, c’est-à-dire celle de la galanterie, qui est la plus sûre. Quelquefois la vengeance d’auparavant a été la cause du regret d’après, et le plaisir pris à faire du mal s’est tourné en déplaisir de l’avoir fait.

CCXVIII

Ne rien faire par caprice,
mais tout avec circonspection.

Tout caprice est une apostume ; c’est le fils aîné de la passion, qui fait tout à rebours. Il y a des gens qui tournent tout en petite guerre. Dans la conversation ce sont des bandouliers ; de tout ce qu’ils font, ils en voudraient faire un triomphe ; ils ne savent ce que c’est d’être pacifique. En matière de commander et de gouverner, ils sont pernicieux, parce que du gouvernement ils en font une ligue offensive, et de ceux qu’ils devraient tenir en qualité d’enfants, ils en forment un parti d’ennemis. Ils veulent tout mener à leur mode, et tout emporter comme