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L’HOMME DE COUR

CXCVI

Connaître son étoile.

Nul n’est si misérable qu’il n’ait son étoile ; et s’il est malheureux, c’est à cause qu’il ne la connaît pas. Quelques-uns ont accès chez les princes et chez les grands, sans savoir ni comment, ni pourquoi, si ce n’est que leur sort leur y a facilité l’entrée ; de sorte qu’il ne leur faut qu’un peu d’industrie pour maintenir la faveur. D’autres se trouvent comme nés à plaire aux sages. Tel a été plus agréable dans un pays que dans un autre, et mieux reçu dans cette ville-ci que dans celle-là. Il arrive aussi d’être plus heureux dans un emploi que dans tous les autres, quoique l’on ne soit ni plus ni moins capable. Le sort fait et défait comme et quand il lui plaît. Chacun doit donc s’étudier à connaître son destin et à sonder sa minerve ; d’où dépend toute la perte ou tout le gain. Qu’il sache s’accommoder à son sort, et qu’il se garde bien de le vouloir changer ; car ce serait manquer la route que lui marque l’étoile du Nord.

CXCVII

Ne s’embarrasser jamais avec les sots.

C’en est un que celui qui ne les connaît pas, et encore davantage celui qui, les connaissant, ne s’en défait pas. Il est dangereux de les hanter, et pernicieux de les appeler à sa confidence, car, bien que leur propre timidité et l’œil d’autrui les retiennent quelque temps, leur extravagance