Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
L’HOMME DE COUR

CLXXXVIII

Porter toujours en compagnie quelque chose à louer.

C’est le moyen de se faire passer pour homme de bon goût, et sur le jugement de qui l’on peut s’assurer de la bonté des choses. Celui qui a bien su connaître auparavant la perfection saura bien l’estimer après. Il fournit matière à la conversation et à l’imitation, en y développant des connaissances plausibles. C’est une manière politique de vendre la courtoisie aux personnes présentes qui ont les mêmes perfections. D’autres au contraire apportent toujours de quoi blâmer, et flattent ceux qui sont présents, en méprisant les absents ; ce qui leur réussit auprès de ces gens qui ne regardent qu’au-dehors, attendu que telles gens ne remarquent pas la finesse de parler mal des uns devant les autres. Quelques-uns se font une politique d’estimer davantage les perfections médiocres d’aujourd’hui que les merveilles d’hier. C’est donc à l’homme prudent de prendre garde à tous les artifices par où tous ces gens-là tâchent d’arriver à leur but, pour n’être point découragé par l’exagération des uns, ni enorgueilli par la flatterie des autres. Qu’il sache que les uns et les autres procèdent de la même manière avec les deux parties, et ne font que leur donner l’alternative, en ajustant toujours leurs sentiments au lieu où ils se trouvent.