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REINE D’ARBIEUX

avait vu que Reine serait sa revanche — douce proie aveugle et innocente, à travers laquelle Sourbets recevrait, fichée dans sa chair, la flèche aiguë.

Le feu était éteint dans la cuisine, et l’âtre balayé. Devant le seuil, sur une chaise basse, la vieille Génie s’était installée ; elle défaisait des haricots, puisant au fond d’une corbeille des poi­gnées de cosses qu’elle mettait dans le creux de son tablier.

L’angle de la maison lui cachait le banc de jardin où Adrien s’était assis en face de Reine. La tête droite, mais l’oreille aux aguets, sous le fou­lard sombre, elle s’alarmait de ce tête-à-tête, rumi­nant des pensées qui creusaient un pli sur son front. L’inquiétude serrait ses lèvres minces qui avaient tu tant de secrets ; tandis que les grains blancs ruisselaient de ses doigts noircis, son âme de ser­vante fidèle revivait les vieux jours, les jours d’épouvante, où le suicide du père d’Adrien sem­blait avoir jeté sur la famille une malédiction. Vingt-cinq ans ! Il y avait vingt-cinq ans qu’on l’avait rapporté, gonflé, le visage noir comme un charbon, devenu cette chose repoussante dont on ne pouvait supporter la vue ni l’odeur, en même temps qu’éclataient les cris de sa femme : « Voleur, assassin, » hurlait-elle, poursuivant d’une haine inutile le père Sourbets, qui haussait les épaules et fermait les portes. Était-ce vrai qu’il avait été d’entente avec l’entrepreneur pour racheter au