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REINE D’ARBIEUX

il lui fallait ramasser quelque rouge-gorge moite et souillé de sang, elle tournait vers son compagnon un visage en feu. Devant la petite gorge encore soulevée, la pitié l’emportait dans son cœur ardent. Les hommes étaient trop cruels ! Adorant la chasse et le mystère des sous-bois, où l’oreille surprend des battements d’ailes, elle s’émouvait de voir tomber, foudroyé, le petit chanteur invisible. Quand Régis étouffait un oiseau blessé, elle se détournait avec horreur, ne consentant à le regarder que lorsque se vitrait le doux œil noir. Avec cela, fière d’étaler sur la table de la cuisine le butin raidi, dénombrant les pièces minuscules. Rien dans sa nature qui pût s’accorder, comme si sa vivacité d’esprit et de cœur, jamais maîtrisée, dépassant toujours ce qu’on attendait, fût vouée aux réactions les plus imprévues.

En Clémence, au contraire, étendue à plat sur son chariot, un rayonnement de douceur ! Toujours il y avait eu cette paix sur elle, qui donnait l’idée d’une entente secrète avec son âme. Ceux-là mêmes qui plaignaient sa mère et se répandaient en paroles, quand ils approchaient, n’osaient plus rien dire. Ce royaume où elle avait vécu avec sa souffrance, les mains refermées sur un cœur qui peut-être saignait en secret, Régis en chérissait sur elle le reflet. Il savait que Clémence sentait tout ce qui le touchait. Il était sûr qu’un peu de son âme l’accompagnerait. On pouvait donc trouver au monde une tendresse qui ne fît pas souffrir. Le pas de Régis se précipitait. Il pensait à sa mère.