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REINE D’ARBIEUX

dans l’ombre. Ce serait sa cruelle vengeance de prendre à Germain sa femme pour l’abandonner. Encore deux ou trois jours peut-être, et il serait libre de recommencer sa vie ailleurs, délivré de la passion amère qui l’avait rongé jusque dans ses os. Que ferait-il ? Quelle voie désormais deviendrait la sienne ? Tout cela n’était que secondaire, auprès de l’idée fixe qui creusait un pli vertical dans son grand front jaune.

Lorsqu’il reparut dans le bourg, la nuit était tout à fait tombée. Comme rien n’avait sans doute transpiré de ce qui s’était passé au moulin, il s’ap­pliquait à n’éveiller aucun soupçon. Le maréchal devait raconter bien des fois que son locataire s’était arrêté à la forge comme de coutume. À travers la nuée d’étincelles rouges, qu’il arrachait à coups de marteau d’une barre de fer incandes­cente, cet homme ne remarqua pas qu’Adrien eût l’air agité ou préoccupé ; ni l’apprenti qui tirait la chaîne du soufflet : « Il avait sa figure ordinaire ; c’était un garçon bien tranquille, mais un peu sournois. » La femme prétendit plus tard s’être doutée de quelque chose ; « Quand il est entré dans la cuisine, et a voulu payer son loyer, je lui ai demandé quelle mouche le piquait. On n’était que le 20 novembre et il « réglait » habituellement à la fin du mois. » Elle l’avait trouvé pâle, comme exté­nué ; mais ce qui ne l’avait pas frappée tout d’abord, et qu’elle se rappela par la suite, c’est que lorsqu’il avait tiré un billet de son portefeuille, ses doigts tremblaient.